Au bord de quelque chose, toujours.
Dans l’insécurité native.
Au bord d’une compréhension. Ou d’une décision définitive.
Au bord d’une imminence.
Un franchissement de col, à partir duquel tout pourrait s’inverser, la vision s’agrandir, le souffle s’apaiser.
Ne plus avoir à haleter pour atteindre le sommet, jouir du paysage en amorçant la descente, laisser aller un pied après l’autre sur le sentier accueillant, celui qu’on sait rejoindre le havre, là-bas au creux de la vallée, ardemment pressenti depuis l’autre versant.
Mais le col n’est jamais là où l’on croit.
Est-ce le col de la Mort, miroir du tout premier franchi, écho du col dilaté des mères,
nous expulsant hors de l’ombre chaude?
Légèreté, légèreté, je t’appelle,
Je te donne en secret un nom d’oiseau,
Je te nourrirai dans ma paume avec le meilleur de moi-même,
J’abandonnerai mes lourds vêtements,
je te laisserai rompre du bec les attaches usées mais tenaces,
les dépouilles mortes qui encombrent le champ du ciel
J’aurai pour toi le bleu soyeux des étangs du désir
J’attiserai le feu qui consume,
Je brûlerai les oripeaux pendus à mon cœur,
viandes flasques pourvoyeuses de pourriture
sang sale virant au noir
attirant mouches et vers voraces
Légèreté légèreté,
Je chanterai pour toi un air soufi jamais entendu
J’inventerai dans ma gorge une coulée de miel né des roseaux
un souffle sûr
porteur de messages clairs
un souffle vaste autant que ferme
sur lequel nous embarquerons
et tu m’enseigneras l’art et le savoir-ailé
le pur-ici sans poids
la transparence cachée sous tes paupières
au centre de ton iris
de mésange de rouge-gorge de libellule de grenouille de lézard couleuvre vairon cétoine abeille grillon vanesse chat lapin chien folâtre
de ton iris de nouveau-né
un instant surpris
dans l’enchantement dérobé
du monde
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FRANCOISE ASCAL
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Oeuvre Carmelo Blandino