Merci à Nedjma
"Ai-je trouvé la joie? Non. Ce qu'on a appelé pessimisme dans mon livre n'est que franchise.
J'ai trouvé ma joie. Et c'est terriblement autre chose. Mêlé au magma panique ( et encore plus intimement que ce que j'ai pu le dire ) j'ai participéà toutes les vies. Je me suis véritablement senti sans frontières. Je suis mélangé d'arbres, de bêtes et d'éléments ; et les arbres qui m'entourent sont faits de moi-même autant que d'eux -mêmes. J'ai trouvé pour moi une joie corporelle et spirituelle immense. Tout me porte, tout me soutient, tout m'entraîne ; les fleurs du printemps entrent en moi avec de longues racines blanches pleines de jus sucré ; les odeurs me sont d'une exquise solidité.
Les orages, le vent, la pluie, les ciels parcourus de nuages éblouissants, je n'en jouis plus comme un homme, mais je suis l'orage, le vent, la pluie, le ciel, et je jouis du monde avec leur sensualité monstrueuse. Et je peux affirmer, contrairement à ce qu'on dit, que la matière ne désespère pas. Elle ne promet rien, elle affirme. Elle ne nous fera pas peindre sur les murs l'aile douce des anges annonciateurs, ni le visage enfantin de la Vierge, ni l'enfant qu'elle porte dans ses bras, maintenant sorti d'elle mais toujours dévorant, planté dans elle comme une touffe de gui dans l'yeuse.
Elle ne nous cache pas la mort par des murmures de génie, elle nous la présente à tous les pas, elle nous l'offre, elle nous en caresse, elle en fait, non plus une injustice, mais une justice, une sorte de connaissance totale. Quand on participe profondément aux joies du monde, on attend cette connaissance totale avec joie, on accepte de voir ceux qu'on aime poursuivre ainsi leurs destinées. Les lois de la matière nous obligent à l'espoir.
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Mais la joie panique, il est impossible de la garder pour soi-même. Elle nous est donnée par toute l'épaisseur de la vie. Celui qui l'a, s'il ne la partage pas, ne fait que la toucher et la perdre."
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JEAN GIONO
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Oeuvre Koday Laszlo